Vous savez ce qu’est un ballast ? C’est ce qui permet de faire monter ou descendre les sous-marins. On le remplit d’eau pour couler. On le gonfle d’air pour remonter à la surface. Cette invention n’est pas sortie de la tête d’un ingénieur mais de celle d’un cachalot.
Spermaceti
Au XVIIIème, la pêche à la baleine bat son plein, c’est un massacre terrible. On les chasse et on les tue pour leur graisse, unique moyen de s’éclairer alors. Au début du XIXème, avant Haussmann et l’arrivée des becs de gaz, on illumine même les rues avec ce moyen. Cette graisse, issue de la peau de la baleine, pleine d’omega 3 d’ailleurs, est épaisse comme de l’huile de palme.
Dans la tête du cachalot, il y a un organe appelé « organe du spermaceti » ou « melon » chez les autres cétacés. Il est nommé ainsi car il est rempli de liquide blanc. Ce spermaceti est liquide à partir de 30 °C et figé à 0°C. C’est la différence de densité qui permet au cachalot de sonder et de remonter sans efforts et ainsi atteindre des profondeurs abyssales.
Une fois raffiné, le spermaceti devient une huile très fine et fluide. Le plus fluide lubrifiant connu à l’époque. Cette huile est donc utilisée en horlogerie jusqu’à la fin du XIXème et l’invention de l’huile « Jurassienne ».
Jurassienne &Co
J’ai vu sur la facture d’une montre des années 50, que la montre en question nécessitait une révision par an. Quel horloger charlatan peut conseiller une telle fréquence de révision ? C’est la première chose qui m’est passé par le tête. J’ai montré cette facture à Jean Louis Strack pour avoir son avis. Il m’a raconté qu’à l’époque où son grand père et son père étaient horlogers, les montres devaient être révisées bien plus régulièrement qu’aujourd’hui. Et ce pour deux raisons :
- L’étanchéité : Si la montre n’est pas suffisamment étanche, de l’eau et des corps étrangers rentrent dans le boîtier et altèrent son fonctionnement.
- La lubrification : Plus les huiles sont fines et gardent leurs propriétés lubrifiantes dans le temps, plus les révisions peuvent s’espacer.
En effet, les huiles utilisées par les horlogers jusque dans les années 70 étaient de moins bonne qualité qu’aujourd’hui. Elles avaient tendance à se figer rapidement et à devenir collantes. On dit d’ailleurs d’une montre ancienne, qui nécessite une révision, qu’elle est collée.
Les anciens utilisaient donc deux huiles, la Juracienne pour lubrifier les pendules et les montres de poche, les gros mouvements en général, et une autre, pour les montres de poignet.
Moebius et huile fine
Mais la Suisse est aussi à la pointe de la chimie fine. Et oui, il n’y a pas que le fromage et les montres en Helvétie. La recherche et le développement des lubrifiants liés à l’horlogerie en fait bien sûr partie. Ainsi, arrivent sur le marché, au cours des années 70, des huiles mieux adaptées aux différents organes de la montre.
Car, en horlogerie, on le sait, rien n’est facile. Il n’y a pas qu’une sorte d’huile dans un mouvement.
Plus la pièce tourne vite, plus l’huile utilisée doit être fine. Les éléments de la montre sont donc lubrifiés avec des produits qui ont une viscosité adapté à leur fonction. Par exemple, le pivot de balancier nécessite une huile très fine, les fonctions de mise à l’heure, par contre, doivent être lubrifiées avec une huile moins fluide. Les huiles sont aujourd’hui teintées et reconnaissables grâce à un code couleur.
Actuellement, un fabriquant de lubrifiants destinés à l’horlogerie détient le monopole. C’est Moebius (comme le génial dessinateur). C’est une société Suisse, racheté par le « Swatch Group ». Ils fabriquent des lubrifiants pour pratiquement toute l’horlogerie mondiale (même les japonnais utilisent leurs produits). Seul Rolex produit la majeure partie de ses lubrifiants en interne.
Une fiole de 2ml de 9010 de chez Moebius coûte 75 euros. Même si on n’utilise que très peu de cette huile très fine, ça fait aussi parti du prix d’une révision. Sur un chronographe, par exemple, il faut beaucoup d’huile fine, la lubrification est donc une étape onéreuse.
Epilamage et changements d’états
Certaines pièces tournent très vite dans une montre, et plus le rythme augmente, plus les roues tournent vite. Cette friction chauffe les lubrifiants qui deviennent encore plus fluides. Ils sont adaptés à ce changement d’état. Certaines huiles sont même très peu fluides lorsqu’on les applique. Les palettes de l’ancre, par exemple, nécessitent une huile épaisse, la Moebius 9415, tellement épaisse qu’elle est considérée comme une graisse et non comme une huile.
Anticiper le changement d’état, permet au lubrifiant de rester en place lors des mouvements rapides ou brusques des éléments de la montre. Mais c’est pas encore suffisant pour les palettes de l’ancre, le contre pivot des chatons du balancier, la roue d’échappement et les pièces du système de mise à l’heure.
Ces pièces sont donc recouvertes d’une solution de fluor séché qui bloque l’huile à la place où on l’a posée. Ce procédé de surfaçage est appelé « Epilamage ».
Le fluor est un élément chimique qui est très connu et très utilisé. Il est un des éléments principaux du Teflon. Le téflon est entre autre utilisé comme matière antiadhésive sur les poêles « Téfal » notamment. C’est un peu le même principe pour l’épilamage. La surface, sur laquelle est posée la goutte du lubrifiant, rejette, chimiquement tout contact avec d’autres matières et bloque ainsi le lubrifiant là ou il a été posé.
Lorsqu’une montre tourne à 36000 alternances par heure, et que la graisse est éjectée dans le reste de la montre ? Le bazar ?
Comment huiler une montre ?
Lorsqu’on révise un mouvement d’horlogerie, on démonte toutes les pièces qui le composent pour que chaque élément soit bien nettoyé. Ce n’est pas comme pour un moteur de voiture, on ne fait pas que la vidange et le changement de bougie, on démonte tout, jusqu’à la moindre soupape. L’huilage s’effectue à différents moments du remontage de la montre.
Pour cela, on utilise un « pique huile ». Ça ressemble à une aiguille à coudre, très pointue au bout. Les différentes huiles sont à l’abri dans un huilier : une boîte regroupant plusieurs petits godets très peu profonds, presque plats, remplis des différentes huiles. Pour avoir une petite goutte, on plonge le « pique huile » près du bord du récipient et pour une grosse goutte, on va chercher au cente où la quantité d’huile est plus profonde. Le bout du « pique huile » aussi peut être plus ou moins gros pour emmagasiner plus d’huile par capillarité.
On dépose ensuite la goutte à l’endroit voulu. La taille de la goutte dépend de l’appréciation de l’horloger, il n’y a pas vraiment de règle, c’est l’expérience qui parle.
Pourquoi la lubrification ?
Oui ? Pourquoi ? La différence de dureté entre les rubis, (je parlerais des rubis dans un prochain épisode) le laiton et l’acier devrait suffire à ce que les pièces ne s’usent pas. Et bien non, la graisse est primordiale dans tout assemblage mécanique, aussi bien pensé et fabriqué soit-il. En horlogerie les dimensions sont trop petites et les forces en mouvement trop faibles pour avoir une lubrification totale comme dans les moteurs de voitures.
La lubrification permet aux pièces mécaniques en mouvement de ne pas s’user. La science des frottements et de l’usure est appelée « Tribologie ». L’huile peut quand même disparaitre (elle s’évapore ou glisse ailleurs dans la montre) et dans ce cas, la montre continue de très bien fonctionner. Mais, sans gras, les pièces se touchent, provoquant de l’usure adhésive et des microsoudures apparaissent entre les pièces, ça s’appelle aussi le grippage. L’usure abrasive intervient aussi et fait prendre du jeu aux axes, ce qui est très problématique dans un mouvement où un dixième de millimètre devient vite une distance considérable.
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