J’ai commencé à aborder, quelques épisodes auparavant, la datation des montres. Je m’étais alors basé sur les radionucléides fluorescents pour illustrer la datation absolue. Je vais, maintenant, utiliser la forme des boîtiers, comme support de la datation relative.

En effet, au cours de l’histoire de la montre de poignet, qui débute grosso-modo au début du XXème siècle, les modes et les inventions ont fait évoluer la forme des montres. Ces styles sont très souvent reconnaissables.

Montre de poche de dame (10’s)

La première montre de poignet est destinée aux dames. C’est une montre de col, habituellement portée au bout d’un sautoir (très long collier), sur laquelle on soude des arceaux faits de fils métalliques. Dans ces tiges, on glisse des rubans de passementerie, aux couleurs vives et motifs fleuris pour fixer la montre au poignet. Au début du siècle, c’est surtout des montres en or qui se portent au poignet.

Cette forme est utilisée jusqu’au début des années 1920. Les montres de poilus, de la première guerre mondiale, illustrent le mieux cette forme particulière.

L’acier inox n’étant pas encore inventé, ces boîtiers sont uniquement fabriqués en or ou en argent. Si on tombe sur une forme similaire en une autre matière, alors il y a baleine sous gravier. ATTENTION !

Boîtier à facettes, tanks réversibles (30’s)

La période Art Déco déboule pendant « l’entre deux guerres ». C’est les années folles, il faut que ça brille. Fini le XIXème et ses formes arrondies. Fini l’Art Nouveau et ses femmes papillons.

La forme de boîtier la plus emblématique de ces années 30 est celle de la Réverso de Jaeger LeCoultre. En effet : elle n’a pas évoluée depuis sa création. La Tank de Cartier est aussi une montre Art Déco toujours exploitée aujourd’hui. Winston Churchill, lorsqu’il était « First Lord of the Sea », au début de la première guerre mondiale, utilise ses chantiers navals pour créer le premier char d’assaut, le Tank. Ce nouveau véhicule – au même titre que l’avion – va marquer cette époque. Ce nom : « TANK » vient directement du véhicule blindé. En bijouterie, il est même utilisé pour définir le style massif de la fin des années 30, début 40.

Bien des marques horlogères sont apparues en cette période et toutes proposaient plusieurs modèles rectangulaires. Les montres d’homme de cette époque, dépassent rarement les 33 millimètres de diamètre.

Movado françois borgel
Movado au boîtier à facettes signé François Borgel

La forme rectangulaire des boîtiers n’est pas la seule de « l’entre deux guerres », bien sûr, mais on la retrouve tellement peu par la suite, qu’elle peut définir la signature de cette époque.

Cornes de vache et godrons (40’s)

La deuxième guerre mondiale marque un énorme tournant dans l’horlogerie. Les clients exigent de la nouveauté. Les années folles ne sont pas que des bons souvenirs, il faut faire table rase du passé. Finis les boîtiers rectangulaires et les facettes. Retour aux formes généreuses et arrondies.

Patek Philippe de 1948 à cornes de vache

Le boîtier redevient rond, les mouvements deviennent automatiques et plus épais. Les montres grandissent. Les cornes de vache sont très à la mode en cette fin des années 40. Ce sont des demi-lunes soudées au boîtier qui retiennent le bracelet.

Jusqu’au début des années 50, les boîtiers possèdent beaucoup d’arrondis. Il y a bien souvent des godrons sur les bords ou sur les cornes. Les godrons sont comme des arrondis sculptés dans la masse, donnant l’impression que l’objet est fait de plusieurs tubes soudés les uns sur les autres.

C’est à cette époque que l’on trouve les premiers mouvements automatiques à butées (bien qu’inventés avant guerre).

En généralisant, on peut dire que les montres aux formes bizarres, souvent très rondes, de toutes parts, datent de cette période.

Fond vissé et boîtier épais (50’s)

Les années 50 sont, à mon sens, un tournant. Les marques commencent alors à généraliser les fonds de boîtiers vissés. C’est une grande avancée. Pour qu’une montre soit étanche, il faut pouvoir loger et coincer un joint entre le fond et le reste du boîtier. C’est possible avec les fonds clipsés, mais c’est beaucoup plus efficace en vissant. La recherche de l’étanchéité est le cheval de bataille des ces années 50, cela se poursuivra jusque dans les années 70. Avec plus ou moins de réussites.

Dans ces années on retrouve, comme pièces emblématiques, l’Ingénieur de IWC, les premières Seamaster et Constellation de Omega, mais aussi la Conquest de Longines. Ces montres se distinguent par leur boîtier très cossu, aux cornes épaisses.

Seamaster au boîtier typique des années 50

Mais les années 50, comme 60 d’ailleurs, sont remplies de changement et de nouveauté.

Anse « Lyre », droite, monobloc (60’s)

Le début des années 60 voit naître le premier boîtier aux cornes tournantes, ou « anses Lyre ». Les cornes ne tournent pas, mais le chanfrein côté bracelet, donne bel et bien cette impression. C’est Gerard Genta qui les dessine en premier avec la Universal Genève « Polerouter ». Montre mytique. Des collectionneurs se sont même retrouvés cette année à Paris pour une soirée spéciale Polerouter. Quelle riche idée.

Cette forme sera par la suite adoptée par Omega pour la Speedmaster Professionnal. Ces cornes sont toujours utilisées par Omega pour les Speedmaster et aussi pour les Seamaster. C’est même un peu devenu la signature du boîtier Omega aujourd’hui.

Speedmaster Professional et ses « anses lyre »

Mais les « anses Lyre » ne sont pas les seules à marquer les années 60. Les cornes droites sont encore plus populaires à l’époque.

Une autre particularité de boîtier accompagne les anses droites dans ses années 60. C’est le « monoblock ». Cette invention, que je trouve, avec 50 ans de recul, complètement ratée, part du principe que l’humidité rentre surtout par le fond de boîte. Alors, les ingénieurs de l’époque le suppriment, le fond de boîte. Désormais, les révisions et opérations s’effectueront par le haut, en retirant le verre, pour accéder aux entrailles de la bête. C’est inutile, l’humidité rentre aussi par le verre et par la couronne, qui ne sont pas plus étanches qu’avant.

Mauvaise pioche. Pour avancer, se renouveler, il faut aussi se tromper. On paye pour apprendre non ?

Les formes assez sobres de cette époque étaient plutôt consensuelles, mais avec du recul, c’est la période vers laquelle se tourne une majorité de collectionneurs. C’est toujours très facile à porter.

Kubrick et tonneau

« Orange mécanique », « 2001 l’odyssée de l’espace ». C’est ce que m’évoque les années 70. Les Hippies aussi. Et les boîtiers « tonneau ».

Les boîtiers « tonneau » arrivent en fait en 1968 pour les premiers, mais c’est dans la décennie suivante qu’ils vont tout envahir. C’est la forme emblématique des années 70. Presque toutes les marques en ont produit. Pour les trois aiguilles comme pour les chronographes.

Il y a aussi, et ce n’est pas rien, la vista de Genta (encore lui) et le dessin de la Royal OAK de Audemars Piguet. Le boîtier avec bracelet intégré fait son entrée dans le game. Il n’en sortira plus puisqu’il dessine dans la foulée la Nautilus de Patek Philippe basée sur le même principe. Rolex sort à cette époque la Oysterquartz basée sur la même philosophie.

la Rolex Oysterquartz et son boîtier à bracelet intégré
Ce passage en revue, des différents boîtiers, peut vous permettre de savoir plus rapidement de quelle époque date la montre que vous venez de découvrir, dans un tiroir chez papi, dans un vide grenier ou une vente publique.

Merci à Jean Louis STRACK pour les illustrations